UBER, DELIVEROO… CHAUFFEURS ET LIVREURS POURRAIENT DÉSORMAIS ÊTRE REQUALIFIÉS EN SALARIÉS (ET ÇA VA PLAIRE À L’URSSAF)
SAMUEL CHALOM PUBLIÉ LE 29/11/2018 À 18H41 MIS À JOUR LE 30/11/2018 À 16H23
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Un ancien livreur Take Eat Easy a été reconnu comme salarié de la plateforme par un arrêt de la Cour de cassation rendu mercredi 28 novembre. Une décision qui devrait faire jurisprudence… et inquiéter les Uber et autres Deliveroo. Décryptage avec Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris.
Mis à jour vendredi 30 novembre 2018 à 16h21
La question de l’ambiguïté du statut des travailleurs des plateformes n’en finit pas de faire l’actualité. Il y a quelques semaines, un amendement à la loi Avenir professionnel avait bien tenté d’éviter toute requalification en salariat en cas d’établissement d’une “charte des droits sociaux”, mais il a été retoqué par le Conseil constitutionnel, considéré comme un cavalier législatif, ce qui n’empêche pas le gouvernement de l’introduire à nouveau dans son projet de loi mobilités. Ce mercredi 28 novembre, c’est la Cour de cassation qui a remis le sujet sur la table :
dans un arrêt, elle reconnaît le statut de salarié à un ancien coursier pour Take Eat Easy, société qui a fait faillite en 2016.
Pourquoi ? Du fait de la mise en place par l’entreprise, dans son application, d’un “système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre de kilomètres parcourus par celui-ci”, ainsi que de sanctions permettant d’empêcher le livreur de continuer à travailler pour la plateforme. Pour Thierry Vallat, avocat au Barreau de Paris, cet arrêt de la Cour de cassation va forcément faire jurisprudence : “Cela change tout : cette décision est complète et détaillée. Elle va nous aider à plaider pour d’autres cas devant les prud’hommes. Nous pourrons y dire, regardez, c’est la plus haute juridiction française qui s’est prononcée sur cette question”, témoigne-t-il.
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Uber comme Deliveroo devraient s’en inquiéter : ils disposent chacun de nombreuses obligations ou incitations envers les travailleurs qui pourraient, à l’avenir, permettre de reconnaître une relation de subordination. D’un côté, la plateforme de chauffeurs est dotée d’un système de notation avec envoi de mails de rappel à l’ordre lorsque la note est trop basse, voire d’exclusion des chauffeurs, mais aussi des tarifs de courses fixés à l’avance par la société. De l’autre, le service de livraison de repas à domicile "incite fortement à travailler le weekend puisque cela permet d'avoir de bonnes statistiques et d'accéder au planning avant d'autres (...), donne un délai de livraison, qui est affiché à titre indicatif, mais on sait très bien que c'est pour mettre la pression sur les livreurs", témoigne Jérôme Pimot, cofondateur du Collectif des Livreurs Autonomes Parisiens (Clap) et ancien livreur Deliveroo. “Lorsque vous additionnez tous ces éléments, que ce soit pour
Uber ou Deliveroo, vous n’avez plus aucun mal à démontrer la relation de subordination”, juge Thierry Vallat.
Selon l’Urssaf, Deliveroo lui doit plus plus de 6,4 millions d’euros pour les années 2015 et 2016
Une possibilité de requalification qui devrait aussi faire plaisir à… l’Urssaf. Déjà, en mars dernier,
Mediapart révélait que l’inspection du travail et l’Urssaf estimaient que Deliveroo n’employait pas de vrais livreurs indépendants mais des salariés. À ce titre, l’Urssaf évaluait que le montant des cotisations non-versées par Deliveroo en 2015 et 2016 dépassait 6,4 millions d’euros ! “Puisque l’Urssaf ne va pas cracher sur de nouvelles rentrées d’argent, elle ne va sans doute pas se priver de cet arrêt de la Cour de cassation qui va dans son sens”, estime l’avocat.
Comment vont donc réagir les plateformes face à ces nouveaux risques ? “Elles vont sûrement réviser leur modèle. Soit certaines vont progressivement faire le choix de signer de vrais contrats de travail avec leurs chauffeurs et livreurs, soit elles vont s’arranger pour faire diminuer toute trace de ce qui peut s’apparenter à de la subordination”, estime Thierry Vallat. De son côté, le gouvernement pourrait aussi être obligé de revoir sa copie : en effet, d’après l’avocat, sa nouvelle proposition de charte évitant les requalifications pour les plateformes, contenue dans le projet de loi mobilités, pourrait à nouveau être retoquée par le Conseil constitutionnel.